La puissante lumière orangée du soleil vient se baigner aux aurores dans le bassin ligérien. C’est dans la direction de l’est que l’astre envoie ses premières pulsions de chaleur et réanime les êtres tenaillés dans la pénombre. Le fleuve s’éveille et s’endort mais ne cesse de charrier la vie et la mort au travers de ses méandres tourmentés. Elle coulait devant moi depuis toujours, elle coulait ici avant tout le monde. Par sa puissance millénaire, elle a creusé son ornière et s’étend des massifs volcaniques d’Auvergne aux plaines océaniques de l’Atlantique. On ne peut plus lui dire son âge, mais chaque jour elle est nouvelle. Régénérée par sa source et injectée dans ses bras par le souffle de ses affluents, la Loire est intarissable.
Elle passe devant mes yeux. Inscrivant une barrière géographique d’une rive à l’autre. Derrière les arbres bordant ses berges, pas une habitation visible, pas un pont pour la traverser. Depuis mon village de la Pointe à Bouchemaine dans le Maine-et-Loire, elle fait vibrer les habitants. L’hiver, elle s’étend et inonde le territoire, on se déplace sur les pontons de bois ou en barque à bout de bras. Elle emportera ce qu’elle pourra. L’été, elle s’ensable et offre des alcôves reculées sur ses îles et rives où l’on se prélasse. Néanmoins prudence, ses sables sont remuants. Ici, elle reste sauvage et impose son diktat. La Dame est belle mais tourmentée. On lira sur les portes des cafés que nul n’est censé ignorer la Loire.
Le fleuve royal. On en parle aussi bien au masculin qu’au féminin. Les Gallo-Romains l’appelaient Liger et en a découlé le patronyme des gens installés sur ses levées et ses coteaux. Les Ligériens admirent cette artère tonnante qui découpe le paysage depuis aussi longtemps que l’on puisse s’en souvenir. De mémoire d’Homme, on commerçait les épices, le vin, la pierre ou le charbon via les eaux. Les plates de Loire remontaient les grandes citées de Nantes à Orléans puis Nevers. La marine de Loire s’abreuvait de tous les vins dans les villages albâtre bâtis en pierre de tuffe. De l’aube au crépuscule, on ramenait les poissons des bosselles et on vidait des canons en jouant à la boule de fort. Il n’est pas étonnant que les rois aient choisi les campagnes du fleuve majestueux pour bâtir leurs châteaux, dans ce jardin de la France si bon pour la chasse et favorable à l’agriculture
Toutes ces histoires imprimées dans les pierres, ajoutées à l’esthétisme foudroyant de la Loire devaient inexorablement m’appeler à me jeter à corps perdu, tel un fou investi d’une quête, vers les confins de ses origines. La genèse de la Loire, le Mont-Gerbier-de-Jonc. Je ne sais même pas vraiment où il se situe. Apparemment quelque part dans le Massif central. Mais à quoi ressemble-t-il ? Que vais-je trouver une fois arrivé ? Je déplie la carte de France et pointe du doigt ma position. En suivant le filet bleu, je traverse effectivement des noms de villes connus. Saumur, Tours, Blois, Orléans. Une fois passé cette latitude, mon doigt bifurque en prenant une courbe géographique surprenante partant vers le sud. En fait, c’est la Loire qui part vers le nord et prend un virage vers l’ouest. À présent, mon index pointe des endroits totalement inconnus. Je connais Gien de nom, j’ai rêvé de Briare, je ne connais pas Nevers encore moins Digoin. Que vais-je trouver après Roanne? Je passerai le Puy-en-Velay et ensuite? Ensuite, c’est la montagne et la source aux abords d’un dernier village baptisé Sainte-Eulalie, perdu dans les reliefs cartographiques. La distance me paraît conséquente et m’impressionne. Je remonterai la Loire en pédalant à contre-courant. J’irai à la rencontre de la Loire en longeant ses flancs, au plus proche de ses courants.