Les secrets de Sololaki

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A quelques mètres de la place de la Liberté de Tbilisi et du tumulte urbain les secondes s’égrainent plus lentement dans le quartier de Sololaki. Il suffit de marcher dans les bas quartiers de la capitale géorgienne pour échapper au marasme et s’abandonner à une sérénité de village. C’est l’atmosphère que propose Sololaki, un faubourg populaire de la ville. Le lieu rassemble des bâtisses échancrées en sursis, suspendues dans leur dernier souffle, enchevêtrées les unes sur les autres menant à des impasses débouchant sur des illusions. Ici, on ne vit pas vraiment chez soi, les autres vivent avec vous. Les cordes à linge supportent les draps humides, immaculés de lumière. Les vignes continuent à escalader les balcons hors d’âge. Un vieux cerisier délivre ses fruits alors qu’un chat se cache sous un escalier de bois. Une femme hurle sur sa voisine pendant qu’un homme fume sa cigarette au coin de la rue. Un enfant court derrière un ballon alors que sur le trottoir une marchande range ses tomates dans des cartons. Les rues de Sololaki vibrent au rythme cadencé de ses locataires, il est intense aussi bien dans les demeures qu’à leurs extérieures. 

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D’un rôle de spectateur arpentant les allées sinueuses, vous pouvez parfois, à force d’intéressement et de curiosité, crever la membrane qui vous cantonne à l’observation pour passer sur une scène plus prometteuse, celle de l’action. Le bourg ne pourrait être qu’un décor fait de brique et de broque que l’on mire et pourtant le vrai spectacle se passe derrière les portes, le plus souvent dans les cours arrières.

Dans l’une des perspectives principales du quartier, la rue Abo Tbilelis, je passe devant une échoppe où un boulanger s’applique à travailler la pâte. On appelle ce lieu le “toné”, la boulangerie géorgienne. Je m’arrête devant et passe la tête afin de renifler les odeurs de levain. Zura s’affaire à confectionner une nouvelle préparation qu’il mettra dans son four. C’est un puits chaud dans lequel les boules de farines, une fois sur les parois brûlantes, deviendront du pain. Nous commençons une conversation simple qui aboutit sur une question importante de sa part :

-“Ты пить любишь?” En l’occurrence, une question de premier ordre, à savoir si je veux goûter, non pas son pain, mais le cognac qu’il a lui même distillé.   

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L’invitation est sérieuse. Un des meilleurs moyens de se faire un ennemi en Géorgie est de refuser le verre qu’il vous tend. Je passe instantanément de l’autre côté de la scène, en plein milieu de l’estrade, au centre du magasin. Il n’y a pas foule dans la rue. Zura est en pleine préparation, mais il trouve le temps de me servir cette boisson dont il est si fier.

-“Avec mon frère on a distillé le vin dans notre maison à la campagne. C’est le samagon,  et on l’a mis en barrique et voilà le résultat. Ça te plait ? C’est ça le vrai cognac Géorgien.”

Evidemment, une fois le cul-de-canette terminé, je me retrouve avec une nouvelle dose. Cette fois je prends tranquillement mon temps à la descendre. Le boulanger ne boit pas avec moi. Pas pendant le travail. Des clients arrivent et ne s’étonnent même pas de me voir dans la boutique. Ils achètent le pain traditionnel. Suite à ça, j’achète un katchapuri au fromage à ce distillateur pétrit de talent et continue à arpenter les rues pittoresques.

Observant les façades au calme fallacieux de la rue Abo Tbilelis, je m’arrête devant une vieille porte beige flanquée du numéro 12. La porte n’est pas complètement fermée et, je m’aventure à l’ouvrir pour découvrir la cour qui sommeille derrière. Bingo, bon numéro, c’est ainsi que je tombe sur Richard, un habitant de la maison

L’homme en plein labeur s’affaire à égrapper les raisins et à les conserver dans des bidons afin de lancer la fermentation alcoolique.

-“Je ne peux pas boire ça tout seul, ma femme ainsi que mon fils ne boivent pas, entre dans notre cour” m’adresse l’habitant.

Un peu hésitant, je passe le pas-de-porte et me retrouve dans le patio, devant l’apothicairerie de Richard. En effet, sous son air de grand-père sage, il s’apprête à distiller sérieusement le jus prodigieux des fruits. Sans qu’il n’en ait encore réalisé aucune matière, il s’active à me dévoiler le fruit de son ultime millésime, une bouteille d’alcool de raisins tirant à 70 degrés. Je ne suis que peu surpris de ce que je peux trouver dans cette cour, même sans m’y attendre au final, sans me l’avouer, c’est à peu près à ce quoi je m’attendais. Sololaki doit accueillir de nombreuses caves. Et c’est cela qui est incroyable, en estimant rencontrer un Géorgien, et en allant à sa rencontre, malgré la confusion de ne pas le connaitre, il vous attend depuis longtemps comme un ami. C’est pourquoi, Richard, sous sa pergola m’invite à goûter son distillat et je m’assois avant de porter le breuvage à mes lèvres et de m’en sentir mal. Pourtant, l’élevage semble raisonnable, mais je ne peux plus engloutir les multiples verres que le Géorgien me réserve. J’en ai déjà bu trois et la situation pourrait m’entraîner dans une impasse. En lui annonçant que son brandy est le meilleur bu, je m’extirpe de cette scène en partant vers un nouvel exode. Je remercie le chaleureux tbilissien et avant de disparaître, il me lance -“reviens quand tu veux, tu connais l’adresse.”

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En sortant, je sens mon pouls  battre intensément, mais c’est probablement à cause de l’alcool conservé dans mes veines.C’est le mois d’octobre, il ne fait pas chaud. Pourtant, je remonte la rue comme si, je venais de sortir d’un bain d’eau chaude, étourdi. A l’angle de la rue, je suis sujet à l’agitation. A ma gauche, se soutient l’agitation, alors qu’a ma droite, le bel immeuble en encorbellement abandonné laisse tentation à l’aventure. Je délaisse l’appartement prometteur, et me destine vers une grande cour où des locaux s’activent à faire du vin. C’est le tohu-bohu, un Géorgien tourne la manivelle qui presse les baies mûres pendant que deux gars transvasent et portent dans la maison des bocaux de jus. Bebo, la grand-mère, est à la direction de l’entreprise, c’est elle qui encourage les troupes et fait la conversation. -“On a toujours fait du vin dans cette maison, on va pas arrêter. On a des hectolitres sur le palier. Vous voulez voir ?” J’ai bien entendu voir et pas boire, je la suis.

 

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Heureusement que la douane ne vient pas mettre son nez dans ce quartier, c’est un QG de l’entreposage non agréé. Arman, short rouge et débardeur bleu me dit qu’il fait ça pour la famille. Le vin fait parti intégrante des ressources familiales pour l’année. -“Si tu n’as pas de vin, tu n’es pas un bon voisin et pas vraiment un Géorgien”. Je crois qu’on a oublié pas mal de chose en France. Elle est loin l’époque des petits pépés qui ficelaient leur gnôle et s’enquillaient leur vin dans les caves. Les Géorgiens n’ont pas perdu le sens du réel. Bebo me remercie d’être venu, elle me montre des vidéos de son petit-fils qui est un virtuose de la guitare basse en Arménie. Le groupe Sweetie Baby, des gamins à la voix aiguë dans des costumes d’adultes trop étriqués balancent leur pop électrique sur youtube. Bebo est fière, les larmes aux yeux, elle me fait comprendre qu’ils ont été à l’Eurovision Junior. Après tous les verres ingurgités, je ne sais plus vraiment discerner si ce que je vois est vrai. Je remercie la mamie et file en dehors de l’appartement. Je referme la porte comme si j’étais passé par la fenêtre et derrière moi dans les placards centenaires, les secrets invisibles des rues de la capitale.

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Toutes les photos publiées sont de l’auteur et leur utilisation est strictement personnelle. Copyright for the pictures that all belong only too me. Adrien Clémenceau

 

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