C’est un nid pris dans le flanc de deux montagnes. Il n’y avait rien, sinon une création titanesque, issue de la collision des forces. De falaises qui s’entrechoquent. Elles avaient creusé une faille et un jour, tout le monde était parti. C’était en 1991, et un autre tremblement de terre s’était produit, un cataclysme géopolitique, L’URSS avait disparu. Une spéléologie sans retour, une plongée dans un abysse infini, sans corde de secours, sans espoir tout court. Entre temps, un observatoire scientifique avait été bâti, puis finalement déserté et en passe d’être oublié.
Dans les niches de ces hauteurs caucasiennes, les chaumières entretenaient les foyers. Il faut chauffer, jeter du bois dans le poêle, c’est l’hiver. Et puis, il y a ces deux gars qui marchent dans la montagne. Qu’est-ce qu’ils foutent là ? Entre l’Altaï et le Sinaï. Non, ils arrivent là, sur ce pan de gravats, comme sur un astre lunaire, ils alunissent. Pas de pancarte, à peine une carte et juste entendu parlé de Descartes, ils marchent vers les sommets. Il faut trouver le cratère, celui où le volcan savant soviétique voulait regarder vers le ciel. Il existe, mais où ? Nous ne le voyons pas, alors que lui tout seul pouvait observer la galaxie. À ce jeu de cache-cache, nous sommes aussi les plus forts. Escalade, camouflage, observation, nous passons entre les barrages, comme des mirages, nous nous infiltrons dans un site scientifique endommagé.
Ce n’est pas un décor en carton, et personne ne nous a mâché le travail. Regardez, mirez, et vous verrez jusque dans les étoiles. Nous approchons, à pas lents, et personne ne nous atteint, nous n’avons pas de combinaison spéciale, et nous n’avons pas de constitution spatiale. Nous sommes des bipèdes en quête d’aventure, toujours à se rapprocher plus la lune, quitte à aller décrocher Neptune. Mais, alors, des types ont vraiment travaillé ici, qu’ont t’ils fait toutes ces années lumineuses ? Ils ont voulu construire un grand bidule, et puis plus d’argent le système s’est effondré, comme le cratère résultant de l’explosion d’un volcan. Il n’en reste que la poussière, et on s’en lave les mains.
L’atelier a pris feu, la supernova a explosé, il y a eu Hiroshima dans les cieux. Plus personne. Nous marchons à travers ces morceaux d’histoire, d’un Empire éteint, du souvenir de l’Union Soviétique en déclin. Il n’y avait plus rien, ils ont tout laissé. Nous foulons ces papiers, nous voyons ces télés. Les commandes sont encore graissées, l’électricité toujours installée. C’est un endroit étrange. Ce n’est pas un musée, c’est simplement un lieu ou le temps s’est arrêté. Mais qui étaient les derniers ?
Pour l’instant, c’était nous, avant, c’était eux, et peut-être que ce sera vous ? Et demain, si nous disparaissons, qui pointera son télescope vers la terre ? Et qui découvrira, ce que nous avons laissé derrière nous, ici-bas ? Il se semble que ce décor soit comme une toile et le temps file.
Ci-dessus, photo prise par Andreas Hvid
Les autres photos sont de l’auteur.
Ta description de ces vestiges modernes est très sensible. Sais-tu ce qu’ils vont devenir ?
Encore une folie de ces grandeurs technophiles qui dépensent, sans le compter, le fruit du travail des multitudes…
Pas d’écolos dans les parage ?
Pour des artistes, il y a de quoi faire !