Le Loir, cette rivière s’abandonne à la Sarthe à Angers, mais quel est son itinéraire ? Imaginons que parcourir le Loir à vélo, c’est s’engouffrer dans une vallée secrète, bercée par le frémissement des branches des saules-pleureurs, la promesse peu banale de s’en aller sur 320 kilomètres de sentiers balisés.



Il n’est pas très clair de trouver trace du Loir au sortir de Briollay, mais celui-ci mène sur la baignade de Villevêque. Les badauds nagent non loin de la roue d’un moulin, et moi en nage, je m’écarte de ce remue-ménage. J’arrive à me perdre avant d’atteindre Seiches-sur-Loir, dont je descends les pentes jusqu’à entrevoir les fonds émeraude de Matheflon. Les rives du Loir ne sont pas plates, et obligent à appuyer sur la pédale. Ma progression n’est pas si grande et après l’utilisation d’un bac à Montreuil-sur-Loir, l’offrande d’un prunier m’incite encore plus à vivoter. En ai-je déjà ras la casquette ? C’est bien possible. Pour un premier jour, les jambes sont lourdes. À l’intersection des Cinq Routes, des riverains s’aperçoivent de la pénibilité de mon entreprise, ils m’approvisionnent en eau potable et me disent qu’il n’est pas trop tard pour rejoindre la Sarthe dont les rives sont plus roulantes. Mais, je n’en démords pas, je veux toujours suivre le Loir !
Baracé sera ma première étape, en descendant le chemin des Percé Neige, je comprends que c’est ici que vécu Lino Ventura. Les rives sont belles et idéales pour l’établissement d’un camp. Sur la rive opposée, j’aurais aimé rejoindre le moulin de Prignes et puis Lézigné, mais le bac pour traverser est cassé, endommagé par des crues d’hiver, les habitants s’en trouvent fort coincés, embarrassés, et moi donc ! Je monte la tente et la démonte, Muriel et Charles, des amis avertis de mon arrêt dans le village m’invitent à remonter les Percé Neige pour accueillir au chaud le cycloventurier !

La vallée du Loir revêt déjà le caractère d’une France rurale, discrète et tranquille. Au passage du pont d’Huillé, sur mon cycle Peugeot, j’aime à penser que je roule à la chaleur d’un été des années 70. Il n’y a aucun marqueur temporel, même les anciennes plaques Michelin confortent mes impressions. Au travers des champs, le soleil assomme de lumière les têtes de tournesols et au sortir de La Flèche ma seule dérive indiquée est de me jeter à corps perdu dans le milieu du Loir. Quel plaisir de s’y baigner. On se souvient cependant – qu’en 1151 dans ce même Loir – une telle baignade avait été fatale au comte d’Anjou, Geoffroy Plantagenet. À Luché-Pringé, il est stipulé que la mendicité n’est pas tolérée ! Au Lude, à la terrasse d’un café, j’observe une voiture s’enflammer. C’est ainsi qu’en urgence le conducteur accourt demander de l’eau, même celle sale d’un seau, pour la jeter sur le capot de son Audi. Quelle idiotie, par la suite, elle ne démarrera plus. Je contemple la façade du château, le porc-épic majestueux s’en dégage, pourvu que je ne crève pas sur une épine ! Pas de recherche de bivouac pour le soir. À la facilité, je m’abandonne au camping municipal.
Les roues à aubes continuent leur manège, sur le Loir rien n’abrège leur tournoiement, ni même le temps. Et donc je passe à Vaas. Le village est calme, je rêvasse à l’ombre non loin des chuchotements de l’eau qui coule entre la digue. La suite du chemin n’est pas très certaine, puisque je me retrouve sur la départementale jusqu’à m’échoir à Château-du-Loir.
Les noms du Loir résonnent comme ceux de Loire, voilà Vouvray, puis Couture, la Chartre et non la Charité et tout de même Troo qui sonne comme plus étrange. C’est dans cette contrée qu’Auguste Rustin breveta l’imparable “rustine” pour panser les pneumatiques. En sécurité, il est toujours aussi agréable de rouler, cette fois dans la vallée de Ronsard, en suivant et perdant le Loir. Son cours n’est pas lisse et souvent inaccessible, pris par la végétation. À Poncé-sur-Loir, il y a les coteaux de Jasnières, et donc des vignerons. Je m’arrête chez l’un d’eux nommé Champion pour y acheter la divine boisson. Beaucoup de cabanes y sont construites, ce sont des bouts de Loir qui appartiennent à des pêcheurs. Une quiétude impressionniste s’en échappe, celle-là même que le peintre Maxime Maufra s’efforçait de capturer à cet endroit. En grimpant sur la bosse de Troo, qui doit tenir son nom des troglodytes qui occupent sa paroi, on peut admirer la vallée du Loir jusqu’à un horizon lointain, au moins je distingue Montoire-sur-le-Loir. Dans ce dernier village, le marchant de l’épicerie cocci n’est pas bien aimable, me dévisageant comme un voleur. Je ne souhaite qu’un cacolac, mais il ne les vend que par six. Quel mauvais vendeur !
En début de soirée, en filant vers Vendôme, un cycliste me suit dans la roue. André va bien plus vite que moi, à 77 ans il est élancé sur les routes du Loir-et-Cher et m’apostrophe ! Le Vendômois est un voyageur, il y a quelques années, il a suivi le fleuve Mékong à vélo sur plus de deux-mille kilomètres. Je me retrouve transporté du Viêtnam au Cambodge, en passant par le Laos, entre Thoré-la-Rochette et Villiers-sur-Loir. -“Je possède un bout de Loir avec un cabanon” me glisse-t-il entre deux coups de pédale. C’est une invitation pour m’y installer le temps d’une nuit. L’aventurier ramasse les œufs dans le poulailler et reprend son cycle jusqu’à Vendôme, me laissant disposer de son carré de terre !
Au chant du coq, je remonte en selle pour Vendôme. Paisible, le Loir y circule dans son cœur, le long de l’hôtel de ville, et l’enlace tout autant. Vendôme est donc une île. Je ne m’y attarde pas, je ne trouve pas non plus quoi y faire, hormis m’arrêter un instant devant la statue de Rochambeau. Sur un bon rythme, je pédale jusqu’au bourg de Cloyes. Sur l’île principale, les canes observent calmement leurs canetons téméraires et moi, je fais une sieste salutaire. Puis Châteaudun n’attire qu’à peine mon regard, son château est trop haut. C’est vers Bonneval que je m’enfuie. La Venise de la Beauce a bien du charme et je décide de camper près de la base de kayak, près de la rivière, sur un îlot accueillant la tombe de Pierre Favré, jeune résistant mort pour la France le 11 août 1944.






Illiers-Combray n’est plus qu’à 30 kilomètres, et donc la source du Loir avec elle. Le temps s’est dégradé, mais il n’est pas encore perdu. Je continue ma route au milieu de la Beauce, longeant les grandes fermes agricoles et les champs de blé. C’est le grenier de la France et il n’y a pas grand monde à y fouiner. Des ânes me regardent passer et bientôt une multitude de paons chantants. Enfin, la petite cité qui vit Proust manger ses premières madeleines est atteinte. Le long d’un lavoir, le Loir s’écoule, concentré dans son lit réduit. Il provient de Saint-Éman, dans un paysage de rase campagne. En allant à sa rencontre, je respire les exhalaisons de coriandre sauvage, et en longeant une forêt campée au milieu des champs, je découvre la source du Loir. Il naît, presque anonyme, au centre de la terre céréalière. Encore une fois, comme pour la source de l’Aubance, ce n’était rien d’autre qu’histoire de la voir ! Ah merci, quelle belle balade que celle de suivre le Loir.




texte et photos – Adrien Clémenceau