À la recherche du tempo perdu, ou bien comment remonter le temps à contre-courant

Janvier 2.22

Nous étions calés au diapason, depuis la confluence, sur le métronome saccadé des coups de pales. Malgré le froid ambiant, que nous tâchions vivement d’ignorer, pagayer au-devant du fleuve était notre manière de laisser infuser dans nos corps refroidis l’essence d’un mouvement à retrouver ; celui de nos bras en lévitation et ceci dans l’espoir de nous sentir effectivement vivants. Lors des premiers mètres à contre-courant, chargée de sa toute puissance, la Loire nous accueillait avec vive allure. Donc, il devenait tout juste possible d’imprimer un premier tempo avant de rejoindre des contres favorables et de prendre sur le fleuve un dessus certain. Plus loin, nous irions même nous blottir dans les alvéoles protecteurs de la rive inondée.

– « Ce midi à la maison, quand j’ai annoncé que j’allais au kayak, on m’a tout simplement répondu que j’étais un fou » confie l’un des téméraires kayakistes. Sous un ciel gris et une météo maussade offrant un mercure stagnant à 3°, difficile de s’imaginer sous les cocotiers, mais déjà abrités sous les saules dépouillés, dans l’une des anfractuosités de la berge, nous considérons avoir fait le bon choix ; celui de ne pas être resté dans nos salons, las, à manger des chocolats et à regarder par la fenêtre la vie qui va sans joie. Ah, nous avons vraiment fait le bon choix en partant à la rencontre du fleuve, et sur un bon tempo, va !

Les minutes s’égrainent et notre groupe ne faiblit pas. Crescendo, nous y allons de bon cœur, le rythme maintenant bien posé, le pouls de la Loire est régulier, pas besoin de garrot pour la stopper, le débit de son cours nous fait ramer ! Enfin, devant la guinguette de Port Thibaut, sans fanfare et lanternon, les mains se refroidissent et en lâchant prise de son plein gré, la Loire entraîne dans son aval un de nos coéquipiers . Si nous longeons les gloriettes, ce n’est pas banal, c’est qu’il y a de l’eau à foison en cette saison. Alors qu’à quelques mètres, depuis l’église gemmoise quatre coups de cloche sont martelés, et en passant sous les magnolias flamboyants des parcs entretenus au carré, au ras des murets nous surplombant, en observant ces baroudeurs surchauffés s’engager audacieusement dans un contournement de l’île aux chevaux, les cabots sont étonnés et les promeneurs sont déroutés.

Le fer est chauffé à blanc, rouge incandescent, nous qui étions à la recherche d’un tempo perdu, ce n’en est plus le cas. Nous filons avec éclat, le tempo est retrouvé, la Loire nous cède son bras. Droit devant, Dumnac nous fait des courbettes, nous autorisant à repartir dans le sens de la navigation, à reprendre le sens originel de l’écoulement du temps. C’est à cet instant, à la pointe orientale de l’île exactement, que le personnage de M. Proust surgit des eaux invasives. Par surprise, une sacoche immergée ne doit son salut qu’à une branche la retenant d’un engloutissement assuré. D’un coup de pale, elle est libérée et recueillie par l’escouade. Est-ce la relique d’un pêcheur égaré ? Le funeste artefact d’un gangster ligérien ? La bouée de sauvetage d’un malheureux naufragé ? L’ouverture de la fermeture Éclair nous le révélera !! Une fois ouvert, un portefeuille nous dévoile l’identité de son propriétaire. Il s’agit des papiers de M. Proust. Eh oui, M. Proust, lui-même, imaginons le – en l’espérant au sec sur son canapé et en bonne santé – probablement à la recherche de sa sacoche perdue.

Dans la brume s’épaississant, nous ne devons plus lutter. Maintenant, le tempo est celui proposé par la Loire nous ramenant à notre port d’attache. En allant nous mesurer au contre-courant, nous avons remonté le temps, puis ce temps nous a apporté une sacoche fantôme venant elle-même du passé, pour enfin que la Loire nous reprenne dans la marche élémentaire de son courant, c’est le sens du bon tempo ! Merci M. Proust, et peut-être nous remercieras-tu aussi ? À présent, afin de te remettre tes papiers perdus, c’est toi que nous allons devoir rechercher…

Récit d’une balade hivernale. Le tempo que la Loire nous autorise à suivre, à la recherche de ce qu’on veut bien !

One thought on “À la recherche du tempo perdu, ou bien comment remonter le temps à contre-courant

  1. Malgré la grisaille et le froid, tu parviens à réchauffer qui te lit au rythme de tes pales labres ligériennes…

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