Brèves d’Algérie

Deux jours avant le départ, les premières taches d’encre se couchent sur le papier de mon petit carnet. Qu’attendre du voyage en Algérie ? C’est un des pays les moins touristiques du Maghreb, les dunes sont au sud, je resterai au nord, au bord de la Méditerranée à Alger, puis à Oran, aussi en Kabylie à Tizi Ouzou. Fin février, les élections approchent. Depuis le week-end dernier, la jeunesse est dans la rue et “marche”. Ras-le-bol des quatre mandats de Bouteflika et, par pitié, surtout pas un cinquième. Je pars avec mon ami Alex, qu’allons-nous découvrir là-bas ?
Bienvenue en Algérie – immersion dans la Casbah, cœur battant de la ville Au guichet de l’immigration de l’aéroport d’Alger, le sosie de Zidane regarde mon passeport. Il sourit et me souhaite un bon séjour. Mourad, le petit cousin d’Achour qui sera notre hôte à la capitale, vient nous chercher à la sortie du terminal.

Il nous dépose au port devant d’imposantes façades d’immeubles haussmanniens décrépis, vestiges usés et souvenir périmé de la présence française. Nous nous enfonçons donc avec prudence dans la Casbah, la vieille ville populaire d’Alger. Sur les toits, les paraboles sont tournées vers la France. C’est pour mieux capter

TF1 nous répond-on. Plus nous progressons et
plus nos craintes diminuent, personne ne nous attend au tournant pour nous truander. Les enfants courent et jouent, se faufilant entre les murs chaulés et fondus dans le bleu méditerranéen. D’autres jeunes, eux, tiennent le mur et nous regardent. L’un sourit et dit : “la Casbah c’est comme les dents, si on l’entretient pas elle tombe !” En longeant quelques pans d’habitations écroulés, nous arrivons tout en haut de la Casbah, au restaurant Le Repère. C’est chez Yacine et ici, les photos témoignent de
la renommée du lieu. On voit le restaurateur poser avec Guy Roux, Éric Cantona. Il nous accueille et s’exclame : “faites ici comme chez vous, maintenant chez nous !”

Nous rejoignons Achour. Il nous emmène dans un garage pour faire de la mécanique se dit-on. Une fois la devanture remontée, nous découvrons de vieilles voitures de collection. Son ami Mimoune nous apprend qu’on ne parle pas arabe ici, mais le kabyle berbère. Le garage est en réalité un bar semi-clandestin, une bonne excuse pour les gars d’aller boire tranquille quelques verres des Coteaux de Médéa. Achour ouvre la bouteille de vin rouge et remplit les verres en plastique. Nous trinquons, Bsartek ! Plus tard, Achour nous conduit de nuit avec son pick-up. La ville n’est fréquentée que par les hommes et plusieurs brigades de travailleurs nocturnes. On monte sur un promontoire accueillant la basilique de Notre-Dame d’Afrique, construite en 1872. La statue de la Vierge semble regarder, les bras ouverts, vers la mer infinie. Achour nous dit : “Marseille, ce
n’est pas loin, seulement entre 18 ou 24 heures de bateau, ça dépend, c’est kif-kif !”

On part pour Tizi Ouzou avec Achour à bord du pick-up. Sur la route, nous apercevons d’anciennes propriétés viticoles bâties de pierres rouges. Elles sont désertées et nous renvoient en plein visage l’histoire de la colonisation. On s’arrête prendre le tonton Mohammed qui lit le journal et boit son café dehors. Il monte à bord et notre bande file pour la capitale de la grande Kabylie. Notre convoi s’arrête au café du coin dans la rue curieusement baptisée “les douze Salopards”. Ici, lieu de rencontre des hommes, la bière coule à flots, tout le monde supporte l’équipe de foot locale, le JSK Kabylie. Nous y
mangeons le couscous en sirotant du cabernet sauvignon. C’est vendredi et c’est le jour de la marche contre Bouteflika et sa campagne pour un cinquième mandat. Dehors, la foule défile pacifiquement. Nous regardons depuis la fenêtre avec Mened, un ami d’Achour. Il nous confie que “quand ça pète en Algérie, ça commence toujours en Kabylie”.

Massif de Djurdjura Mohammed et Rachid nous emmènent à Taourit Moussa, leur village dans les montagnes. C’est aussi là que vivait le poète kabyle Matoub Lounes, icône révolutionnaire, assassiné en 1998 pendant la décennie noire. Au village d’Aït Mahout, les femmes sont vêtues de robes rouges, jaunes et noires. Elles discutent, travaillent aux magasins. L’une d’elles, âgée, porte même une bouteille de gaz sur le dos. Où sont les hommes ? Ils se cachent dans les cafés, jouent aux dominos, paressent ou mangent dans un repère. Au loin, nous contemplons enfin les envoûtantes neiges du massif de Djurdjura.

Oui, on peut rentrer Alex, enfin non, enfin on va demander, car même si l’architecture de cette tour avec une coupole est belle… c’est une banque. C’était la Compagnie d’Algérie, c’est toujours écrit sur
le fronton. Venez, venez, on va aller chercher le responsable de l’architecture. Car oui, dans les banques algériennes, ce titre semble exister. En fait, Moustapha l’architecte est responsable du patrimoine et des budgets. Surpris et amusés de notre requête, Moustapha et Ousama, le gardien, nous mènent quatre à quatre dans les étages de la banque, après avoir cherché dix minutes la clé du cadenas de la porte de la terrasse. La coupole apparaît enfin dans sa plus belle architecture néo-byzantine. Nous sommes les rois du toit, les VIP de la banque CPA.


La route du fort de Santa Cruz, promontoire idéal pour observer Oran La route vers le site de Santa Cruz offre une vue panoramique sur Oran. On m’avait prévenu : “n’y va pas tout seul, c’est hyper dangereux”. Ça tombe bien, Alex se repose à l’hôtel, donc je demande dans un café comment aller là-bas. On me répond, tu vas aux Arcades et tu trouves un taxi clandestin. Ok, ça me plaît bien. Je m’engouffre sous les Arcades et débusque mon pilote pour mille dinars. Le chauffeur est vraiment sympa, père de cinq enfants, il me conduit sur les hauteurs de la ville. On s’arrête prendre quelques photos. Le conducteur me dit que plus tu montes, plus Oran tient dans ta main. Et c’est vrai, cet endroit est un pôle magnétique avec une vue jusqu’à la mer à couper le souffle, et, à cet instant, il est magnifié d’un envoûtant appel à la prière. Quelle splendeur !

L’imam de la mosquée Ribat al-Talaba se présente à moi. Il ne parle qu’en arabe, il vient de terminer son prêche. Je me tiens seul, devant lui, à l’entrée du lieu de culte. Il me fait signe de la main d’approcher, mais par respect je ne rentre pas dans le lieu sacré réservé à la prière. Il continue de me faire des signes amicaux et je comprends que je suis le bienvenu.

Yves Saint-Laurent est né en 1936 à Oran. On apprend dans notre guide que la maison est située rue des Frères Chemloune. Il est aussi indiqué qu’il faut appeler Madame Guelil avant de s’y rendre.

Apparemment, elle a 80 ans et ne peut pas descendre les escaliers. On décide d’y aller après 16h et à pied. Pas si simple de trouver la rue, mais en demandant aux passants, on y par- vient. C’est ici, le 14 rue Frères Chemloune ?

Oui, oui, oui, trois personnes nous l’affirment. On appelle Madame Guelil et elle envoie sa fille pour nous accueillir. Une femme en niqab arrive. Elle est habillée de noir, le visage est joli. “Nous cherchons Madame Guelil, rue Chemloune”. Je suis Madame Guelil, nous répond-elle, suivez-moi ! La femme monte les escaliers, mais je trouve ça bizarre, elle a un carton de pizza sous le bras et lorsqu’elle ouvre, elle l’apporte à un enfant qui fait ses devoirs sur un canapé. La femme appelle sa mère et lui dit “maman, voilà les gens avec qui tu as parlé au téléphone”. Sa réponse est cash : je n’ai parlé à personne au téléphone. Nous sommes médusés. Nous sommes bien chez Madame Guelil, dans la bonne rue, mais chez la mauvaise famille. La femme à la pizza nous accompagne jusqu’à la bonne maison, celle d’Yves Saint-Laurent. La famille qui y vit très modestement nous apprendra que c’est une chance et une malédiction à la fois : personne ne les aide pour les travaux. Nous restons une heure, discutons, prenons une photo et repartons en laissant un peu d’argent. Aux dernières nouvelles, la maison a été rachetée et rénovée pour en faire un musée. En collectionnant chaque jour de nouvelles expériences, c’est bien plus qu’un voyage que nous avons vécu, ce sont de réels instants de vie que nous a offert l’Algérie.

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