Les histoires du Danube peuvent parfois bien être complexes. Que devrait penser un poisson lorsqu’il se trouve d’un côté ou de l’autre d’une rive du fleuve ? Ah oui, rien du tout, ce n’est qu’un poisson et grand bien lui fasse. Pour les hommes et femmes, que l’on soit au sud Croate ou au nord Serbe, ce n’est pas du même ressort. À Vukovar, la ville croate a pansé ses blessures, même si le château d’eau de la cité exhibe toujours ses plaies, funestes vestiges du conflit en ex-Yougoslavie.
Mais tout comme l’eau qui bouge, la vie va et la belle ville de Novi Sad est le théâtre d’heureuses réunifications dont les kayakistes Croates et Serbes de la ville, qui vivent ensembles, sont les ambassadeurs.
À Belgrade, je retrouve Vladislav qui m’avait accueilli à Togliatti pendant mon aventure sur la Volga. Il a fait le choix de venir vivre en Serbie depuis le début de cette année et le déclenchement de la guerre avec l’Ukraine. Il y a des unions et des séparations. Le choix de cette rive ou celle d’en face, d’un pays ou d’un autre, parfois il suffit d’un pont pour les unir, qu’il soit physique ou immatériel, parfois de la décision de quelques fous pour tout détruire.
La vie n’est faite que de choix. Alors quand je me réveille entouré par un troupeau de vaches, que je dévore une soupe de poissons dans un petit village au nom inconnu, que je trouve l’inspiration par le dessin et les rencontres après quelques slivovitsa, ou bien que j’arrive à Belgrade après 22 jours de navigation, je ne peux pas regretter d’avoir pris les rames. Comme le poisson, je tâche de rester au centre du fleuve, malheur à celui qui s’obstine à choisir une rive, il finira probablement leurré, au bout d’un hameçon.
Je quitte Belgrade en espérant me nourrir de nouveau de l’énergie du fleuve. Il s’en va encore sur un peu plus de mille kilomètres vers l’est, m’obligeant chaque jour quelques instants à me retourner pour admirer les fascinants soleils couchants.
Adrien Clémenceau 