Vladikavkaz veut dire « maître du Caucase » en russe. Celui qui contrôle le Caucase dispose d’un territoire s’étendant de la côte subtropicale de la mer Noire à celle pétrolifère de la mer Caspienne. C’est un espace géostratégique qui n’a pas échappé aux Russes qui en sont les principaux décideurs, en tout cas dans sa partie nord. Les Russes bâtirent Vladikavkaz à mi-chemin des deux mers comme forteresse militaire au XVIIIe siècle, les Ossètes en contrôlent le seul accès au Caucase en venant du sud. Elle est la capitale de la république d’Ossétie du Nord-Alanie depuis 1924. Aujourd’hui, elle est habitée par une majorité d’Ossètes. En cette journée saturée par le froid et menacée par la neige, la ville est anesthésiée, le monde est calfeutré.
Depuis l’avenue prospekt Mira, Vladikavkaz court s’abandonner aux montagnes avoisinantes. On m’a dit que par temps clair, c’est une merveille à observer. Aujourd’hui, la perspective est encombrée par de bas nuages gris. Le Terek, fougueux torrent creuse son sillon depuis les glaces du mont Kazbek pour s’en aller vers la Caspienne. Dans son élan fluvial, il arrose la cité ossète en accélérant devant la mosquée aux deux minarets saumon et à la coupole pastel. Vladikavkaz est un carrefour d’influences entre l’Occident et l’Orient, capturé aux creux des falaises caucasiennes. La Volga et ses réservoirs me semblent déjà bien loin mais j’aime à observer ce Terek au cours canalisé, s’extirper avec virulence d’un barrage en béton, zigzaguer entre les pierres, pour filer s’en remettre à son destin salin. Il est à l’image du Caucase et de mon âme, houleux, torturé et combatif, en quête inassouvie d’indépendance.
Qu’elles semblent éloignées les collines de Valdaï et leurs denses forêts de bouleaux donnant naissance au plus long fleuve d’Europe. Il m’aura porté au-devant de la faille du Caucase, à plus de 3 000 kilomètres de sa genèse. Dans une brèche de la montagne, la passe de Darial est enneigée, le blizzard fouette les visages. Au poste-frontière de Verkhny Lars, derrière la vitre en plexiglas, un garde fronce son épais sourcil en analysant mon visa et me lance sur un ton suspicieux :
— Vous êtes resté quatre-vingt-dix jours en Russie au départ de Moscou et vous sortez pour la Géorgie ? Où étiez-vous ? Qu’avez-vous fait ?
Je suis forcé de lui répondre avec assurance :
— J’ai traversé la Russie en kayak.
Le garde-frontière, dans le plus grand respect de son rôle, ne sourit pas. Il passe quelques inaudibles coups de téléphone. L’attente dure une dizaine de minutes, puis au bout de ce laps de temps, sans broncher, il me remet mon passeport. Je suis le dernier à regagner la marchroutka, dans laquelle est fourgué le Narak ainsi qu’une dizaine de passagers.
En me voyant enfin sortir, le chauffeur géorgien qui m’attendait, s’écrit :
— Poekhali bicho. ( On y va garçon )
texte et photos Adrien Clémenceau
Excellent ! Les voyages en kayak seraient donc les dernières vraies épopées ? Ça semble en tout cas laisser les douaniers bouche-bée !