Les Teicējs, conteurs, entonnent les poèmes héroïques lettons, comme les vers de Lāčplēsis ,écrits par Andrejs Pumpurs au dix-neuvième siècle, devenus une épopée nationale. L’écho des aventures du géant Lāčplēsis, le tueur d’ours, se disperse entre les feuilles des chênes et des tilleuls remémorant que, depuis des lunes, le peuple balte perdure grâce à sa combativité. Les mots lettons sont vivants. Ils s’envolent unanimes d’une vibration puissante, incarnant une ode à la résistance envers les affres du passé. Ils auraient pu ne plus exister.
L’héritage subsiste. Le pouls fébrile de la juvénile nation est reparti pour battre, et les cœurs des jeunes tonnent sous le costume traditionnel de leurs ancêtres. Les anciens, qui, terrés dans un mutisme subi espéraient secrètement le retour de Lāčplēsis. Enfin, il est revenu et les campagnes chantent fort ce bonheur. Pour tous, ce jour symbolise parfaitement le combat de la lumière sur les ténèbres.
Coiffé de feuilles de chêne, Janis chante près du bois, c’est son jour. Ieva ramasse les belles des champs et confectionne des bracelets floraux dans un paradis originel. C’est le jour le plus long précédant la nuit la plus courte. À présent, la foi chrétienne se mêle aux racines païennes. Les deux cohabitent malgré leurs différences. Il a fallu apprendre a vivre avec ses démons envahissant, acceptés au fil du temps. Malgré tout, l’église n’a pas entièrement pu enrayer la ferveur que le peuple balte voue aux forêts souveraines. Peuple évangélisé tardivement au treizième siècle par l’ordre teutonique, les Lettons sont majoritaires à être reliés au cordon symbiotique de leur terre.
Le drapeau symbole de la lutte et de la renaissance porte les couleurs du sang. Emblème du peuple guerrier malgré lui, il symboliserait le linceul mortuaire d’un chef letton tombé au douzième siècle. Son sang répandu sur les côtés, le dessous serait resté marqué d’un blanc immaculé. En ce jour de solstice, il flotte fièrement et lourdement au-dessus des têtes couronnées de feuilles sauvages.
Ils chantent ensemble l’incantation dédiée à favoriser la clémence de la nature, pour des moissons fertiles et des champs remplis d’orge. Ils célèbrent l’amour et la joie, les unions qui leur apporteront des filles et des fils. C’est ensemble qu’ils doivent triompher de la nuit la plus courte, de laisser les mauvais souvenirs s’évanouir en fumer et faire des vœux d’espoir pour un renouveau prospère. Le Ligo est un passage entre deux dimensions temporelles, un basculement saisonnier qui laisse entrer les bonnes énergies capables d’évincer les mauvais esprits. Les festons de marguerites sont alignés sur les linteaux de bois afin d’apporter une protection à l’isba qui durera jusqu’au retour du soleil levant.
Les tables sont garnies. Le fromage de la Janis, fait maison, est déposé dans la demeure. Les plats en abondance témoignent de la générosité de la terre et du bétail, de la qualité de la dernière récolte. Ce fromage, préparé spécialement pour la célébration est issu de lait cru et agrémenté de graines de cumin des prés aromatiques. La nourriture à profusion redonne la force et la vitalité aux travailleurs après un très long hiver, le passage du printemps et l’avènement de l’été.
Soudain une Daina tirée du chapitre deux des poèmes de Lāčplēsis est reprise en cœur, le texte déclamé est repris au diapason par quatre générations de Lettons :
“Avec amour nous te regardons, Ligo, Ligo, réunis ici par une véritable amitié, Ligo ! Nos humbles fermes sont maintenant bénies, Ligo, Ligo. Rempli nos granges avec générosité, Ligo ! Maintenant selle ton cheval gris, Ligo, Ligo ! Cavale au pas de course autour de nos champs, Ligo ! Sème les germes d’herbes et le grain, Ligo, Ligo ! Bel orge, pousse de nouveau, Ligo ! Nous prions pour l’herbe des prairies, Ligo, Ligo, Ligo, Ligo. C’est que nous devons t’aimer beaucoup, Ligo, Ligo ! Et que nous aimons à parler de toi, Ligo !”
Le chant transcendant entraîne les familles unies jusqu’au lieu central de la fête. Le bûcher sera le vaisseau incandescent, guide de lumière dans la pénombre, compagnon jusqu’à l’aube. Ses braises incorporeront les souhaits du futur et les maux du passé, rendus en cendres par l’intermédiaire de fleurs sacrées et finalement sacrifiées. Le Ligo incarne l’espoir.
Au coin du feu, les histoires sont contées, la musique et les chants accompagnent les danses qui se troublent au travers des flammes. Les regards timides et brûlants de passion se croisent, prémisse d’une nuit extraordinaire, un instinct sauvage développe la fougue des plus jeunes. Le rythme des danses favorise les étreintes et consume le désire, la forêt est une alcôve accueillante pour une éclipse. Ieva entraîne Janis.
Les étoiles scintillent dans un ciel albâtre, actrices surplombant la scène, bienveillantes, elles amènent un esthétisme à cette liturgie ésotérique. La lune projette son halo sur la clairière. Janis et Ieva s’engouffrent dans le bois. Ils se souviennent que pendant cette nuit exceptionnelle une fleur légendaire éclot. Une chouette hulule sur un vieux frêne et le souvenir des récits de sorcières rodant la nuit de solstice, solidairement, soudent les jeunes intrépides égarés. En vain, exténués par leurs recherches infructueuses, ils se rapprochent l’un de l’autre avec exaltation. Sous la bénédiction des astres favorables, la nuit vectrice de fertilité amènera prospérité, abondance et natalité aux animistes baltes.