Après neuf jours de voyage à suivre la voie creusée par la Loire, les contre-courants m’avaient mené au pied du suc ardéchois. Le dôme volcanique, brut et rebondi semble conserver dans ses entrailles, sous une roche basaltique épaisse, les secrets tourmentés de l’avènement d’une source cristalline qui arrosera villes et vallées dans une course inarrêtable. Ce mont au nom curieux, dont on nous parle enfant à l’école, est devant moi et s’érige depuis huit millions d’années de tout son poids comme le gardien géniteur de la Loire.
Dans ma tente, j’avais lutté, trempé, contre le froid toute la nuit. Le seul aspect positif est que j’ai pu me réveiller avant l’astre du jour et être déjà sur place. Il fait encore sombre et personne ne se trouve sur le calme plateau. Cette solitude me permet de profiter pleinement du site et vers six heures du matin je me présente à la source géographique de la Loire. Le moment est solennel et savoureux. C’est dans une ancienne ferme, recueillie dans un abreuvoir en pierre, que se déverse l’eau vierge. Une inertie s’est emparée de la nature et seulement file sans contrainte, dans un sifflement mélodieux, la première coulée du fleuve sacré. Elle s’échappe avec entrain, dans une rapidité vivide qui la fait danser au sortir d’un mur rocheux. Un embout de bois lui sert de rampe et la gravité l’attire immuablement à se noyer en elle-même dans le bassin pour ressortir en filet vers de futures pérégrinations. Les Sancerrois, penchés sur le berceau de pierre, rendent hommage à la « Reine et Mère de son Vignoble » qui renaît chaque jour à chaque instant.
Je prends le temps du recueillement. Tel le pèlerin qui se rend à Compostelle, je me suis rendu jusqu’aux prémices de la Loire. Je sors à ce moment ma bouteille qui me servira d’écrin à la petite Loire afin de terminer le voyage de Bouchemaine à Saint-Nazaire et de relâcher ma prise dans son estuaire. En un instant, la bouteille est remplie d’une eau glaciale et je ferme le goulot avec le bouchon de liège taillé.
C’est dans une modeste bâtisse que se trouve la source géographique ligérienne. Pas de fioriture, c’est dans une étable des plus humbles qu’elle aborde le monde et plus tard, ce seront des cathédrales et des châteaux royaux qu’elle bordera. Il y a en réalité plusieurs sources de la Loire, une authentique, une géographique et une source véritable. Ce sont plusieurs nappes phréatiques qui forment le futur fleuve et qui se rejoignent non loin les unes des autres. Source d’un fleuve mais également de querelles puisque de nombreuses familles se sont arrogé l’emplacement natal afin de profiter de la manne touristique qu’elle représente. Cela-dit, avec l’affluence de cinq cent mille visiteurs par an, les tensions semblent être mises de côté. Quant à moi, je suis toujours seul à ces heures matinales et j’aspire dorénavant à escalader les sommets de la montagne aux rochers.
Arpenter les côtes du mont ne pose pas d’ennui majeur, le chemin est étriqué et jonché de cailloux mais en enjambant convenablement les blocs et sans se précipiter, le sommet est facile à rallier. Le ciel rend des halos de lumière apaisants et entraîne un travail intense des couleurs évoluant au fil des déplacements d’épais nuages. Vert impérial des forêts balayées de teintes chartreuses sur des reliefs charnels, puissantes rocailles attaquées d’émaux lichénoïdes jaunis s’entremêlent aux fleurs rosées. D’un bond, je découvre le sommet tant convoité et tressaille d’émotion, électrocuté un millième de seconde face à la grandeur brutale s’étendant devant moi. Des cairns, totems dans un équilibre précaire, se trouvent par centaines sur le crâne du mont. Ces empilements artistiques de cailloux renvoient à une image très ésotérique. Le site est un cœur spirituel entravé de roches, rugueux et hostile mais pourtant poumon de vie continuelle. La robe nuageuse pourpre laisse place à une intensité turquoise dans les cieux. La beauté phénoménale à laquelle s’exercent sans heurt les éléments depuis les hauteurs de l’ancien volcan me plonge dans une contemplation profonde. Le sublime final inouï de ma quête farouche vers la connaissance géographique de la Loire est une apothéose qui me convainc, ici même, de l’existence du paradis ligérien.
Toutes les photos publiées sont de l’auteur et leur utilisation est strictement personnelle. Copyright for the pictures that all belong only too me. Adrien Clémenceau